La plateforme e-Tendering n'est pas infaillible !

Dans un arrêt récent rendu dans le cadre d’une demande de suspension selon la procédure d’extrême urgence (cf. Note 1), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’obligation des pouvoirs adjudicateurs de prévoir une plateforme électronique disponible pour tous et qui ne peut limiter l’accès des entrepreneurs à la procédure de passation des marchés publics. (cf. Note 2)

En l’espèce, le requérant avait tenté d’introduire sa demande de participation sur la plateforme électronique le dernier jour du délai prévu par le cahier spécial des charges pour le dépôt des demandes de participation.

En raison de problèmes techniques rencontrés sur la plateforme e-Tendering, cette tentative est restée vaine et le requérant a alors signé et scanné sa demande puis l’a adressée au pouvoir adjudicateur au moment ultime du délai pour le dépôt par voie électronique.

Le requérant a ensuite adressé un e-mail au pouvoir adjudicateur aux termes duquel il a expliqué les motifs pour lesquels il n’a pas su introduire son offre par voie électronique et a sollicité que la séance d’ouverture des offres soit reportée. Cet e-mail a été adressé juste avant l’expiration du délai, à savoir 12:00, mais a été réceptionné par le pouvoir adjudicateur à 12:01 seulement.

Le pouvoir adjudicateur a écarté la demande de participation du requérant en raison de l’absence de signature électronique.

Le Conseil d’Etat a tout d’abord constaté que la plateforme e-Tendering était indisponible lorsque le requérant a voulu introduire sa candidature.

La Haute juridiction administrative a dès lors jugé que :

- le requérant pouvait, par principe, invoquer l’existence d’un cas de force majeure, malgré la circonstance que d’autres candidats avaient réussi le même jour à signer leur demande de participation par voie électronique;

- une indisponibilité générale de la plateforme e-Tendering n’est pas requise pour qu’il s’agisse d’un cas de force majeure;

- c’est une obligation du pouvoir adjudicateur de veiller à ce que l’outil de communication électronique qu’il met à disposition soit accessible ;

- le requérant a fourni un commencement de preuve de l’existence d’une cause de force majeure;

- le pouvoir adjudicateur a manqué à l’obligation de diligence en ce qu’il n’a pas contacté le helpdesk du e-procurement afin de vérifier si les arguments du requérant étaient corrects alors que celui-ci avait fourni la preuve de ce qu’il a contacté le helpdesk;

- du rapport du Roi précédant l’arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques (cf. Note 3), indique, concernant l’article 90, § 3, que le pouvoir adjudicateur doit vérifier auprès du service responsable pour le e-procurement si l’indisponibilité a eu lieu et dans quelle mesure;

- la circonstance que l’e-mail comprenant la demande de participation et les justifications a été réceptionné une minute après l’expiration du délai pour le dépôt des offres par le pouvoir adjudicateur, n’exonère pas le pouvoir de l’obligation de vérifier l’indisponibilité de la plateforme;

Sur la base de ces éléments, le Conseil d’Etat a estimé que la décision d’écarter la demande ne reposait pas sur des motifs adéquats et qu’il n’y avait pas eu d’examen minutieux de la situation.

Retour à la case départ pour le pouvoir adjudicateur dans ce dossier donc.

Bien que l’appréciation d’un tel cas de force majeure soit intimement liée aux faits de la cause, le Conseil d’Etat semble néanmoins :

- faire une interprétation large de la notion de force majeure ;

- imposer une obligation particulière de diligence à charge du pouvoir adjudicateur lors de l’examen des circonstances invoquées par le soumissionnaire.

La Directive européenne 2014/24/EU impose l’utilisation des outils de communication par voie électronique pour les Etats membres dès le 18 octobre de cette année et ce pour tous les stades de la procédure de passation concernant les marchés publics dont le montant estimé est supérieur aux seuils de publicité européenne.

Cette obligation sera étendue aux marchés dont le montant estimé est inférieur auxdits seuils à partir du 1er janvier 2020.

Les pouvoirs adjudicateurs ont donc l’obligation – une de plus ! - de vérifier les situations suscitées par les outils de communication dont ils ne sont souvent qu’utilisateurs.

Il ne faut dès lors pas sous-estimer l’importance du bon fonctionnement de la plateforme e-Tendering.

Un article de Maître Marie Vastmans et Maître Anthony Poppe, Avocats au barreau de Bruxelles - Xirius - Sur DroitBelge.be

Notes:

(1) C.E. nr. 240.186, 14 décembre 2017, THV AB-VALENS-JAN DE NUL.

(2) Obligation prévue à l’article 14 de la loi du 17 juin 2016 relative aux contrats de concession et l’article 57 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques.

(3) A ce jour : article 57 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques.